Noir éclair et tonnerre de Zevs
Philippe Belaval, président du Centre des Monuments Nationaux, donne carte blanche à Zevs pour mettre en scène sa vision de la rencontre entre patrimoine et art contemporain au Château de Vincennes.
Après avoir fait leurs armes dans la rue, de plus en plus d’artistes urbains investissent des lieux en transition, désaffectés ou en réhabilitation. Mais quel luxe de pouvoir s’offrir un château; le mec à mis la barre à un autre niveau ! C’est dans celui de Vincennes que nous retrouvons l’international vandale autoproclamé Zevs. Véritable divinité du mouvement graff hexagonal, il a plutôt fait bande à part, un peu comme ses comparses Space Invader et André avec qui il a formé le mini collectif @nonymous à la fin des années 90. Je le vois évoluer depuis une vingtaine d’années, à l’époque il s’appropriait la nuit en traçant au sol le contours des ombres portées du mobilier urbain. Comme sur une scène de crime dont le corps aurait disparu une fois le soleil levé. Ensuite il s’est attaqué aux icônes d’affiches publicitaires avec un impact puissant et technique minimaliste. Il peint un point rouge, headshot au spray, sur le front des égéries d’où il laissait couler un long drop sanglant pour tuer ou juste désacraliser le message commercial. Mais c’est à Berlin, sur un kidnapping qu’il a passé la maturité. On est le 2 avril 2002, une époque où la publicité prend ses aises sur le paysage urbain, un immeuble est en rénovation sur la Alexanderplatz, les échafaudages sont recouverts d’une énorme bâche promo pour une marque de café italien. Enfin le café n’est pas très présent, la photo signée par David LaChapelle nous présente une superbe bimbo dans toute sa hauteur et sa nudité, simplement recouverte d’une multitude d’adhésifs du logo de la marque. Zevs décide la kidnapper, à 5h37 il va découper la silhouette dans l’indifférence du trafic nocturne et sous l’œil d’une caméra complice, laissant sur la façade lacérée du bâtiment, le message “visual kidnapping pay now!!!”. Quelques jours plus tard il a coupé le doigt de sa victime, l’a mis dans une enveloppe et envoyé au directeur de la compagnie italienne en réclamant une rançon, certes symbolique mais néanmoins élevée, de 500 000 euros (soit le budget d’une campagne publicitaire), pour leur rendre leur image. Deux ans plus tard, jour pour jour, l’artiste organisera au Palais de Tokyo, une mise en scène de la remise de cette rançon sous forme de mécénat pour l’art contemporain. Résolument vandale et international, il se fait arrêter à Hong Kong en 2009 pour avoir peint un gros logo Chanel, plein de coulures, sur une boutique Armani. Il écopera de deux semaines de prison avec sursis mais offrira une visibilité mondiale à sa série “Liquidated Logos”.
Aujourd’hui, l’intervention au château de Vincennes est encore une initiative de l’artiste, celle-ci autrement audacieuse. L’exposition “Noir éclair” est spécialement conçu pour ce lieu, à la fois retrospective et mise à jour des recherches de Zevs, centrés sur la matière, la lumière et les contrastes. Le flash, le clair et l’obscur sont présent dans le fond et la forme, il a choisi ce site en référence aux mouvements contestataires, pour les rebonds de l’histoire, en tant que lieu d’exercice du pouvoir politique mais aussi dans sa fonction pénitentiaire (le château fût successivement résidence royale, prison et manufacture de porcelaine).
D’ailleurs sur la façade, en guise d’étendard, il a déroulé un très grand format de verticales noires et jaunes, ambiance de bagne, drapeau de l’équipe des marques dont les logos ont choisi les couleurs les plus efficaces du code marketing. On retrouvera ce motif en déroulant le fil conducteur du parcours de l’exposition. Pour entrer dans la bâtisse, il faut traverser les douves dans lesquelles il a fait du flaming en “Proper Graffiti”. Une technique dont il est précurseur, il s’agit de peindre au Karcher sur une surface sale, ou comme ici, mousseuse. Superbe pied de nez au programme de nettoyage intensif des graffiti tenté par la Ville de Paris à la fin des années 90. En traversant le pont dormant on est accueilli par le “Liquidated Logo Ferrari”, sorte de blason contemporain où le cheval cabré dégouline, commence à fondre sous la chaleur du pétrole et de sa futilité.
On entre alors dans le donjon, après quelques marches usées par le temps dans l’escalier froid et solennel, une première salle présente 4 portraits de rois de France. Des reproductions sur aluminium de pièces du Louvre, du grand Palais ou du château de Versailles, à la différence que le visage du sujet à disparu, effacé par le flash de l’appareil photo qui a pris l’image. Masqués par la lumière, il les fait rayonner tout en leur enlevant leur humanité. Cette série fait suite aux “Visual Rapes” que Zevs réalisait dès 2003 en plaçant un halo de lumière sur des icônes populaires, allant de Marilyn au Che en passant par Superman et Mona Lisa. Comme s’il fallait continuer à couper des têtes, je me retourne sur un imposant distributeur automatique d’assiettes en porcelaines, ornées de différents portraits de figures historiques (Marie Antoinette, Danton, Charlotte Corday, Robespierre…) toutes condamnées à mort et guillotinées. De manière aléatoire, toutes les heures, une assiette tombe automatiquement et se brise dans le compartiment inférieur. Plus loin, au milieu de ce qui fut une cellule, trône un ordinateur portable de la marque à la pomme fièrement éclairé, sur un socle et sous une cloche. Pourtant lorsque l’on s’approche, on masque le faisceau de lumière, la pomme disparait et on découvre un simple moulage blanc en résine. Cette illusion nous questionne sur l’intérêt du produit sans sa marque, dans son utilité première.
À l’étage supérieur un grand format à l’huile, intitulé “Repas” , où se superposent deux images. En arrière-plan, la Cène de Léonard de Vinci et en premier-plan l’interprétation d’une photo d’un dîner à la Maison Blanche, sur laquelle Barack Obama trinque avec des dirigeants de la Silicon Valley. Dans la chambre du roi, un superbe buste en bronze de Louis XIV nous ramène au contexte classique. C’est mal connaître Zevs, en s’approchant on remarque un impact sur son front d’où ruissèle ce qui semble être une hémorragie de cire. Cette œuvre est passé entre les mains des chercheurs du CNRS, dans le plus grand four solaire du monde (à Font-Romeu en France), sous une parabole de miroirs qui ont orienté les rayons du soleil sur le visage du roi éponyme jusqu’à fusion du métal, victime d’un “visual attack”, tué par le soleil. Dans un couloir obscur, on retrouve Mona Lisa, dans son cadre, sous une douche de lumière tamisée, devant ses mains, lévite un vrai-faux sac en bronze recouvert d’or et rappelant le modèle d’une grande maison de luxe française. Mais le sigle est plagié par les initiales du peintre de la Joconde, le logo LDV, marque créée par Zevs en 2005 en hommage à l’inventeur de génie. Ensuite, on découvre un coffret d’offrande façon Yakusa contenant un moulage en bronze du doigt de Mona Lisa. Ceci en résonance avec son “visual kidnapping”, lorsqu’il avait envoyé l’index de la bimbo sur l’affiche en 2004.
Nous retrouvons cette pièce légendaire dans le dernier étage du donjon, en accès confidentiel, la poupée maculée d’adhésifs est assise contre le mur malgré ses huit mètres de long. À coté d’elle, le bureau de son ravisseur dépouillé d’une mallette, un vieux téléphone et un téléviseur affichant la caméra de surveillance d’un couloir de métro. Zevs entre dans la champ de la vidéo, un collant sur la tête, il décroche le téléphone d’une cabine et c’est notre vieux combiné, sur le bureau, qui sonne. En décrochant on entend le message de sa demande de rançon, c’est l’occasion de revivre cet épisode à suspens qui s’est étiré sur 3 ans et a touché les imites du juridique et du marketing. Après le système commercial, on redescend à l’étage du service bancaire, avec une sculpture en acier dorée du “Liquidated ¥€$”. Dans cette approche, l’ambiguïté entre la chute et l’élévation, la manière dont les coulures et la flaque forment un socle, impose autant le respect que le dégout. On reste dans la stratégie, dans une cellule où fut enfermé le Marquis de Sade, pour découvrir une table de jeu d’échec réalisé en marqueterie. Dans une approche à la fois luxueuse et ludique, les pions ont été mis à jour avec des logos. La reine Chanel (la belle française), le roi Rolls Royce (le bel anglais), le cheval Ferrari (le cavalier italien), la tour CBS (pour la surveillance américaine), le fou Facebook et les pions Playboy. En passant par la salle du puits, on retombe à la fonction domestique, artisanale. Une installation nommée “la Fabrique” présente, comme dans l’échoppe d’un artisan les rouleaux de tissus imprimés des “Bandes de marques jaunes”, des carcasses de sièges en cours de réfection, comme si le mobilier, chaises et méridiennes, que le visiteur aura remarqué dans l’expo avaient été fabriqués et tapissés ici. La boucle est bouclée avec cette gamme chromatique que l’on a découvert à l’entrée du village. En sortant, on passe par la boutique LDV et ses luxueux modèles de bracelets, ceintures ou sacs dessinés par Zevs et réalisés par un artisan new-yorkais. Après avoir traversé la cour, en pénétrant dans la Sainte-Chapelle, le regard est happé par une installation monumentale. Suspendue dans les hauteurs face aux vitraux, “Perpetual Ending” est une œuvre à la fois massive et légère. Elle reprend la calligraphie du “The End” classique hollywoodien sur lequel sont projetées en direct (via deux paraboles) des images de chaines d’infos en continue du monde entier. Elle résonne avec l’illustration des vitraux sur le thème de l’Apocalypse selon Saint-Jean, à
chacun d’y apporter son interprétation, une belle conclusion en points de suspensions.
Ainsi le travail de Zevs s’appuie sur le monument, du donjon à la chapelle, d’une époque à l’autre. Sur des murs graffés par des prisonniers comme Diderot ou Sade, emprisonnés pour leurs mœurs et leurs idées, preuve qu’il y a déjà une certaine habitude du Château de Vincennes à recevoir des esprits rebelles et à les inspirer.
Keep a lightning Mood !
Le commissariat est assuré par Marie Deparis-Yafil et Stéphane Chatry.
Visitez l’expo à travers l’application Zevs Noir Eclair.
Retrouvez l’exposition et les œuvres principales en vidéos sur le site Artivism.
Merci à Anne Lambert de Cursay (CMN) pour l’invitation et Stéphane Chatry pour sa disponibilité.
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